NADOR
« Cette histoire n’est pas glorieuse. Les personnages dont je vais vous parler ne sont pas des héros. Ce sont des gens du commun : harassés par un système, ils obéissent aux ordres, la peur au ventre… »
SYNOPSIS
2002. Les Duquesne s’installent à Tunis avec leurs enfants. Tandis que Gabrielle s’adapte tant bien que mal à sa vie d’expatriée, Charles met le doigt sur une affaire de corruption à grande échelle. Son assistante, la séduisante Houria, a d’autres préoccupations : elle tente désespérément de protéger sa famille. Houria été approchée par le renseignement tunisien. Quel que soit son choix, une part d’elle-même n’en sortira pas indemne. Ce récit nous plonge de manière troublante et ultra-réaliste dans ce qui a été le quotidien des Tunisiens durant la dictature de Ben Ali : une surveillance paranoïaque des populations alors que certains Occidentaux bien pensants rêvent encore de mission civilisatrice…
« Alors que le touriste se hâte, en général, de rentrer chez lui au bout de quelques semaines ou de quelques mois, le voyageur, toujours étranger à ses lieux de séjours successifs, se déplace lentement, sur des périodes de plusieurs années, d’une contrée de la terre à une autre. » Paul Bowles, Un thé au Sahara, 1952
EXTRAIT
« Au bureau 124 de la Dakhilia un fonctionnaire borgne aux gestes saccadés comme un dignitaire nazi avait reçu Houria avec tous les égards. Il avait un mal fou à la regarder dans les yeux et obliquait immanquablement vers ses seins. Il lui fit tout un discours sur la Tunisie, les menaces contre la stabilité du pays, les activistes islamistes qui voulaient réduire leurs efforts à néant, la nécessité de s’engager dans la lutte pour sauver la Tunisie de la misère économique rampante qui la menaçait. On avait besoin de militants forts, de gens engagés. Jusqu’à perdre un œil – il avait été agressé par un barbu qui l’avait payé de trois semaines de torture maison. Et à ce moment-là, même l’œil sec de son interlocuteur devint expressif.
Puis il lui parla de la situation de sa famille. Il connaissait jusqu’aux activités de son père au Soleil de Tozeur. Elle était une militante « désignée ». Elle n’avait certainement pas envie de voir cette situation empirer. Il lui rappela qu’ils vivaient toujours dans l’appartement d’El Menza, un privilège fragile, comme tous les biens de ce monde, sans parler des activités de Soumia, sa sœur, qui fréquentait des islamistes à l’université. Elle aussi, Soumia, pouvait collaborer avec eux, donner des informations. Houria, quant à elle, travaillait pour un personnage qui les intéressait au plus haut point.
– Vous voyez de qui je veux parler ? dit l’homme en scrutant ses réactions. Il est arrivé il y a quelques mois à la délégation…
Comment ne verrait-elle pas… Le charmant blond aux airs de « Petit Prince » qui avait remplacé le barbon râleur. Elles ne parlaient que de lui entre filles. Mais Houria resta de marbre devant le borgne qui reprit :
– Charles Duquesne. C’est son nom. On a sans doute à faire à un activiste étranger, sa mère, avocate, s’est déjà illustrée en France dans des dossiers d’Amnesty touchant des Tunisiens. Des affaires très embarrassantes.
Voilà : Houria devait leur fournir des copies des documents sur lesquels il travaillait, les informer de ses allées et venues, de ses fréquentations, essayer de connaître ses motivations, aller « au cœur » de cet homme et en prononçant ces mots le borgne cligna de l’œil.
Houria acquiesça avec son air sage de femme-enfant. Puis il la raccompagna à la porte et elle sentit sa main sur sa croupe. Elle frissonna.
– Nous comptons sur vous, Mademoiselle Bencheikh. Vous avez de grands atouts dans votre jeu. Prenez mon numéro de téléphone et demandez Monsieur Sadri, ne tardez pas ! Et sachez que nous sommes là pour vous aider. Si vous avez besoin de quelque chose, un problème, je ne vous fais pas de dessin, nous sommes là. Pour votre sœur Soumia, sa situation est délicate, pensez aussi à elle.
La porte du 124 s’était refermée sur cette dernière phrase glaçante.
Le soir de son rendez-vous au bureau 124 du ministère de l’Intérieur, Houria rentra chez elle un peu plus tôt que prévu. Elle passa chez son amie d’enfance coiffeuse, Nadia, au Sourire de jasmin, près de l’avenue Bourguiba. Elle s’assit dans un fauteuil et la regarda distraitement coiffer les cheveux bouclés d’une cliente.
– J’ai trouvé les deux robes dont tu m’avais parlé, dit Nadia entre deux coups de brosse, regarde dans l’arrière-boutique.
La cliente parlait de son mari et de ses enfants.
– Ce soir, dit-elle en riant, il faut que je sois très séduisante pour mon mari.
Houria pensa à sa vie : à quoi pouvait-elle aspirer ? Et surtout comment allait-elle se dépêtrer de sa nouvelle situation ?
Houria tremblait de tout son corps en se remémorant la rencontre avec Monsieur Sadri. La seule chose qui lui restait, son travail, devenait le lieu de la compromission. Sans parler de la mise aux enchères de son corps. Elle sortit les deux robes du sac en soupirant : l’une bleu marine et l’autre blanc cassé, cintrées, juste assez décolletées. Son corps était chouma – « honte », comme le dit le mot arabe. Elle revint dans la salle avec une des robes :
– Waouh ! lance Nadia en la regardant. Tu vas faire des ravages, toi !
C’est justement ce qu’on lui demandait. Mais avait-elle le choix ?
– Je te rembourse demain !
– Pas de problème habiba ! Quand tu veux !
La jeune femme sortit du salon et rejoignit la rue de Paris. C’était l’heure de la prière et des hommes à barbe et djellaba montaient les marches de la mosquée. Bientôt pour le prêche, ils inonderaient le trottoir et la placette avec le caoutchoutier centenaire. Houria marchait dans la multitude compacte de femmes, d’enfants, de jeunes gens en bandes harnachés de gros cartables multicolores et vêtus de tee-shirts siglés de marques de sport et d’équipes de football. Elle aussi, Houria, était jeune, mais elle n’avait pas de droit, pas de liberté, pas de futur – elle vivait comme menottée. Cela faisait longtemps qu’elle et les siens avaient dû déposer leur passeport au commissariat voisin. Pas de sortie du territoire possible. Aux terrasses des groupes d’hommes assis autour de gobelets de thé la regardaient passer, concupiscents. Houria prit le tram à République et descendit à Jeunesse. De là, le bus la menait jusqu’à El Menzah VI, ce quartier exclusivement neuf, qui marquait encore dans les années quatre-vingt l’accession à la propriété des classes moyennes tunisoises. L’ancienne bourgeoisie, les « beldis », avaient déjà déménagé du quartier Belvédère et Mutuelville, vers La Marsa, Sidi Bou Saïd et le nouveau quartier des Berges du Lac.
Les parents d’Houria avaient acheté le logement d’El Menzah VI sur plans et malgré la faillite de Tixia il fallait rembourser les traites. Cet appartement avait constitué le fleuron de leur réussite, leur orgueil, l’assurance de prendre le train de la modernité en marche. Une fois le pied à l’étrier, le confort et la liberté qui en découlent viendraient tous seuls, avaient-ils pensé.
Lorsque Fatima vit entrer sa fille elle ne put s’empêcher de la trouver belle – elle lui rappelait sa propre jeunesse, combien il avait fallu lutter pour ne pas mettre cette somptueuse chevelure châtain et bouclée sous un foulard – pas le foulard islamiste, mais celui de « Mateur », la ville où elle était née, comme l’appelle Fatima, celui que finissent par mettre les jeunes filles, car elles n’ont pas d’autre futur que celui de leurs grands-mères et de leurs mères – pour s’occuper des enfants, balayer et faire la vaisselle, les cheveux, ça gêne. Le morceau de tissu sur la tête – un passeport pour le renoncement.
– Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Fatima à sa fille. Quelque chose ne va pas ? Des problèmes ? Le rendez-vous à la Dakhilia ?
– Rien rien… dit Houria soudain lasse. Ils ont besoin d’un certificat de travail.
– Tu mens ? insista la mère.
– Non, je ne mens pas. Où est papa ? demande Houria en s’affalant dans le sofa crème.
– Il est avec ses amis.
– Il ne fait que ça, « être avec ses amis », dit-elle tendue. Tu crois qu’on résoudra nos problèmes comme ça ?
Fatima s’assit près de sa fille.
– Habiba, lui dit-elle en lui prenant la main, ne juge ni ton père ni ta mère. Aime-les. Je t’assure, ils ont fait et ils font tout leur possible pour que vous soyez bien. En plus ton père est un artiste, c’est lui qui a fait tous les motifs pour Tixia.
La jeune femme soupira :
– Tixia, c’est fini ! Papa devrait trouver un travail, n’importe quoi, gagner trois sous, rester actif. Au lieu de cela, il se noie dans ses dessins et dans la boisson, l’autre soir je suis descendue acheter du pain et je l’ai croisé : il était saoul et il m’a fait un clin d’œil dont je rougis encore.
Fatima se leva et fit les cent pas, préoccupée.
– Ne juge pas ton père habiba, je te le répète. Il essaye de surmonter nos problèmes. Dessiner, ça l’aide.
– Non ! s’exclame Houria. Il s’enfonce peu à peu, comme nous nous enfonçons tous.
La sonnerie retentit : Soumia sa sœur entra dans l’appartement. Elle portait une djellaba jaune et un foulard blanc bien serré sur le front.
C’en fut trop pour Houria.
– Et toi regarde la tête que tu as ! lui lança son aînée en criant. Tu crois que c’est comme ça que tu vas construire ton futur ?
Soumia se regarda longuement dans le miroir et fit face à sa sœur.
– Eh bien moi je me trouve très bien comme ça et mon futur est plus dans « mon » style, que dans le tien – ou que dans celui de maman. Toutes les deux vous jouez un jeu qui n’est pas le nôtre. Vous êtes habillées à l’occidentale, vous raisonnez comme des Occidentales, vous travaillez pour les Occidentaux. Regarde-toi, maman, tu as usé vingt ans de ta vie dans Tixia, et Tixia c’est pour vendre pas cher des jeans à des Européens !
– Je n’ai pas usé vingt ans de ma vie, dit Fatima en bondissant du sofa, j’ai investi, je me suis réalisée et cette femme que tu vois là, devant toi, est une femme libre.
– Oui, dit Soumia en toisant sa mère. Le genre de liberté qu’aime Monsieur Slaoui j’imagine. Quand je vais à la banque il ne me regarde pas, il me reluque, on a d’ailleurs l’impression qu’il est un grand « connaisseur » de la famille.
Fatima s’approcha très lentement de sa cadette :
– Tu insinues quoi… ma fille… va jusqu’au bout de ton raisonnement.
– J’insinue que tu trompes papa.
Soumia n’eut pas le temps de finir sa phrase. Elle reçut une énorme gifle de sa mère.
– Ne me touche pas ! hurla-t-elle en se tenant la joue et en se mettant à pleurer.
– Toi, dit sa mère en colère, tu devrais cesser de fréquenter ce groupe à l’université.
– Je fréquente qui je veux à l’université, et ne t’approche pas de moi ! Au moins les gens que je fréquente ne boivent pas d’alcool comme papa, au moins on parle d’autre chose que de dettes, de standing, on rêve à un monde meilleur, un monde où des gens comme toi et papa auraient une place vraiment respectable, un monde où Houria ne serait plus la bonniche des Européens.
Houria avait assisté à la scène éberluée. Elle se leva d’un coup :
– Mais tu divagues, idiote ? dit-elle en lui prenant le bras. Je suis secrétaire de direction, je parle quatre langues, je suis aussi à l’aise avec des Européens qu’avec des Tunisiens, sauf que les uns me donnent du travail, me payent bien, me font passer en premier par la porte, et les autres me regardent comme de la chair à baiser…
– Pas ces mots sous mon toit ! hurla Fatima.
Ce fut au tour de l’aînée d’affronter sa sœur :
– Reconnais qui te nourrit et tu sauras qui tu aimes, dit-elle en lui lâchant le bras, et puis cesse de fréquenter ce groupe à l’université ou ça va nous contaminer tous. Ces hommes pas rasés, ces hommes en robe croient détenir la vérité et souhaitent nous soumettre toutes !
– Puisqu’on parle de cela, dit Soumia en rajustant son foulard, les larmes aux yeux, et puisqu’il est clair qu’on ne peut plus vivre ensemble, je vais m’installer à El Manar dans un foyer d’étudiantes. Comme ça, je ne serai plus une charge pour vous. En fin d’année, j’ai mon diplôme d’infirmière et je commence à travailler. Je te rembourserai ma sœur, sois-en sûre. Voilà tout ce que j’ai à vous dire. Maman, tu me donnes un peu de poudre ? Ta main s’est marquée sur ma joue. Ce sera mon dernier souvenir de toi. Et puis comme ça, je n’aurai plus à répondre à des questions qu’on me pose sur mes parents, sur ma famille. Vous êtes ma honte, je veux vous oublier. Et maintenant au revoir, j’ai mon cours d’alphabétisation.
Et Soumia disparut en claquant la porte. Fatima la mère s’assit en silence sur le divan et posa la tête sur l’épaule d’Houria. Pour la première fois, elle sentit des larmes lui envahir les paupières. Houria serra bien fort les épaules de sa mère en murmurant :
– Tu sais bien que je t’aime ma petite maman. Ne t’inquiète pas pour Soumia, elle ne pense pas ce qu’elle dit.
À ce moment précis Houria se souvint de Monsieur Sadri, de son œil mort, de tout ce qu’elle devrait faire pour garantir à sa famille le minimum vital avant la déchéance, et elle frissonna. »
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INTERVIEWS
Certaines des informations que vous révélez dans Nador sont stupéfiantes. Comment avez-vous réussi à opérer une telle immersion dans la civilisation tunisienne ?
Au cours de mes voyages, nous nous sommes retrouvés dans le détroit de Sicile, à Trapani. Nous avons alors décidé de nous rendre en Tunisie. Nous sommes arrivés un matin de novembre 2003 au port de Sidi Bou Saïd. Il s’agit d’un port magnifique avec des maisons blanches et bleu clair, qui descendent dans la verdure. Nous sommes restés deux ans dans le nord de la Tunisie, ce qui m’a donné largement le temps de m’imprégner de cette culture, de me poser des questions, d’essayer de comprendre ce qui s’y tramait et finalement, d’approprier ce pays. Quand on voyage lentement, comme nous le faisions, on prend le temps de regarder, d’écouter, et de s’identifier aux populations, de s’ouvrir à un sentiment d’amour pour cet endroit.
Vous évoquez les associations de français à Tunis. On peut imaginer qu’il s’agissait d’un passage obligé ?
Nous avons toujours été un peu marginaux dans la mesure où nous vivions sur un bateau. Mais en tant qu’Européens, on connecte rapidement à la communauté française locale. La Tunisie a toujours fortement travaillé avec des pays comme la France et l’Italie. On rejoint donc naturellement la communauté étrangère, sans que ce soit une mono-fréquentation. Mais on se lie aussi peu à peu avec des locaux, des gens simples ou moins simples…
Vous décrivez la vie quotidienne de l’un des principaux personnages, Houria, avec un luxe de détails. Comment avez-vous pu atteindre une telle intimité avec un personnage tunisien ?
Houria est un « précipité » de plusieurs jeunes femmes que j’ai connues et qui se sont mêlées dans mon imaginaire pour n’en former qu’une.
Houria se voit demander d’espionner son boss et là encore, vous nous plongez dans un univers plus qu’inattendu. Comment avez-vous eu ces informations ?
Il y a des choses que nous n’avons su qu’après la révolution de 2011 mais elles « suintaient » déjà à l’époque : nous étions surveillés et observés en permanence. Par exemple, une amie dans une ambassade m’a dit un jour : tout mon agenda a disparu, je ne comprends pas quelle manipulation j’ai faite. Et trois jours plus tard, elle me dit : ça y est, il est revenu. Il y avait alors un système de surveillance informatique très précis, très sophistiqué, qui permettait de pister ceux qui avaient des idées non-conformes ou représentaient une menace pour le gouvernement en place.
L’arrestation de Gabrielle est effrayante, dans la mesure où elle ne semble avoir qu’une chance minime de se défendre, dans un système judiciaire biaisé.
J’ai basé cette scène sur un fait divers qui m’avait fortement marqué d’un homme accusé d’avoir tué son épouse. La Tunisie était une société de non-droit. Ben Ali était un militaire de formation qui était monté au pouvoir en 1987 s’était fait réélire pour la 4ème fois. Plus les années ont passé et plus il a voulu protéger son pouvoir absolu.
Dans certaines scènes, on peut voir l’islamisme monter avec au passage une vision de la femme à mille lieux de celle qui a cours de l’autre côté de la Méditerranée…
Sous Ben Ali, les islamistes étaient totalement réprimés. Mais cela étant dit, du fait que je suis une femme, une occidentale blonde, j’ai pu voir l’évolution dans le monde maghrébin. Dans les années 1980, il n’y avait pas ce regard hostile. Dans les années 2000, cela a changé. Je n’ai jamais été quelqu’un d’indécent, j’ai toujours fait attention à ma présentation sachant l’importance qu’ils attachaient au corps et à la pudeur. Malgré cela, le regard était critique, méprisant, comme si la femme blanche était une dévergondée. Ce choc de civilisation, je le vivais douloureusement au jour le jour. J’avais affaire à des regards inamicaux, une hostilité critique. Ainsi, lorsque deux ans plus tard, durant l’été 2005, nous sommes retournée en Europe en passant par la Sicile, qui n’est pourtant un modèle en la matière, j’étais étonnée de pouvoir me promener en short, me vêtir à ma guise. Lorsque, de retour de deux ans de vie en Tunisie, je mis le pied sur le sol européen, toutes les contraintes, surveillances et prescriptions diverses, disparurent d’un coup de baguette magique. Je repris le cours de ma vie d’occidentale parmi les occidentaux. Il n’en alla pas de même de mon cerveau. Pendant de longs mois, je ressentis une aversion physique pour tout ce qui de loin ou de près avait trait à la Tunisie. J’étais comme une éponge, regorgeant d’eau vinaigrée. J’avais commencé à écrire « Nador » dans le petit bureau, dont la fenêtre donnait sur une coupole rococo de la cathédrale de Tunis. Devant flottait le drapeau tunisien, croissant et étoile blanches sur fond rouge. Un an avant la révolution j’ai repris l’écriture de ce roman. « Avec ce que tu écris tu ne pourras plus mettre les pieds en Tunisie », me prévint-on. Qu’à cela ne tienne ! pensais-je, ne n’irai plus en Tunisie . Et, alors que « Nador » était déjà écrit, se déclara cette révolution à propos de laquelle Benjamin Stora dit qu’elle marque l’émergence de l’individu arabe et l’entrée de plain pied de la jeunesse dans la globalité culturelle. Les questions que je pose sont les suivantes : qu’en est-il de ceux qui sont nés et ont grandi dans une dictature? Quel est le niveau de résistance d’un cerveau humain ? Le principe de liberté peut-il survivre aux régimes autoritaires ?
Article publié dans le magazine
« Jeune Afrique » du 30 avril au 6 mai 2017
En 2002, la famille Duquesne s’installe en Tunisie, sous la dictature du président Zine el-Abidine Ben Ali. Les mois passent, et Gabrielle peine à s’adapter à la vie d’expatriée. D’autant qu’elle voit son époux s’éloigner peu à peu, obnubilé par une affaire de corruption et par sa jolie secrétaire. Des vies qui s’entrechoquent, aux prises avec les charmes et les dangers du pays. Sillonnant la Méditerranée en bateau, l’auteure, Thérèse Fournier, fait escale en Tunisie en 2003, pour deux ans. Malgré de belles rencontres, elle en retiendra surtout la désagréable impression d’être constamment observée, surveillée. Un « malaise indéfinissable » qu’elle tente de transmettre dans le dernier né de sa « trilogie arabe », Nador, du nom d’une sinistre prison des hauteurs de Bizerte. Plus de six ans après la fin de la dictature benaliste, ce roman se veut une piqûre de rappel sur « la perversité d’un système autocratique ». Pour le côté thriller, on reste sur notre faim, l’histoire manquant de rebondissements et de suspense, le contexte l’emportant parfois sur l’intrigue. Mais Nador offre un autre regard sur cette période, superposant la vie d’expatriés à celle d’indic des renseignements tunisiens.
REBECCA CHAOUCH. N0 2938 DE JEUNE AFRIQUE • DU 30 AVRIL AU 6 MAI 2017
Article publié dans « Qantara »,
le magazine de l’IMA,
l’Institut du Monde Arabe. Hiver 2017-2018
Charles et Gabrielle vivent une existence apparemment sans soucis en jouissant du confort des expatriés européens en Tunisie. Lui travaille comme conseiller économique à la Délégation de la Commission européenne à Tunis. Il veille à la distribution de fonds européens. Elle tente d’occuper ses journée entre leurs deux filles et les loisirs qui s’offrent habituellement aux expatriés. Mais un jour, Grabrielle se retrouve derrière les murs de Nador, la « Belle vue », la terrible prison de Bizerte, construite par les Français au XIXème siècle. Thérèse Fournier tire les fils de ce polar sur fond de corruption dans la Tunisie de Ben Ali et du clan de sa femme. En alternant les narrateurs dont Houria, l’intrigante secrétaire de Charles, chacun dévoilant sa part de vérité.
Ingrid Perben. N° 106 de « Qantara ». Hiver 2017-2018.
Article écrit par François Pedron (Paris-Match) :
« Nador, la Tunisie avec empathie et lucidité »
Le titre Nador, faussement exotique, mérite une explication. Nador signifie « Belle vue », ce qui est à prendre au second degré puisque Thérèse Fournier nous conte une histoire qui, dans un décor de carte postale, nous révèle une histoire cruelle.
La Tunisie qu’elle connaît si bien pour y avoir vécu des années, est un peu délaissée par les romanciers contemporains, et Nador apparaît déjà comme une rareté, alors que l’ensemble Tunis/Bizerte constitue une scène de crime totalement originale dans la production littéraire contemporaine.
Sous le même soleil que celui de l’Etranger de Camus – c’était un autre port -, mais c’est toujours un Maghreb marqué ici par un « protectorat » qui a laissé des traces ineffaçables sous le régime d’un Ben Ali, dont l’Occident ne perçoit pas la fragilité, Charles Duquesne, un jeune expatrié, version moderne du « coopérant », est assassiné.
Sa femme, Gabrielle, est arrêtée trop vite : cette enquête bâclée cache forcément une combine politique. En effet, la victime avait découvert une affaire de corruption qu’elle allait bientôt révéler : des millions d’euros versés par Bruxelles, destinés à améliorer et réguler les systèmes d’adduction d’eau potable, se sont évaporés…
Mais l’enquête policière est secondaire par rapport à celle qui nous fait découvrir peu à peu les amours des protagonistes. Gabrielle s’ennuie et se sent délaissée : c’est une proie (trop) facile pour Kaïs, un séducteur issu des deux cultures. Charles essaye de résister à l’attraction d’une jeune tunisienne, Houria.
C’est un quatuor que le destin mène à la baguette et l’auteur avec adresse. Les personnages, finement dessinés, vivent (et meurent) dans une Tunisie observée avec empathie et lucidité.
A petites touches fluides, l’auteur raconte la vie chez les nantis, et chez ceux que la dureté du quotidien épuise. Et nous rappelle que le « moteur » de l’Homme, c’est l’Amour.
François Pedron. Juillet 2017.
À Tunis, sous la dictature de Ben Ali et à la veille des printemps arabes, quatre destins s’unissent dans un thriller orageux : celui d’Houria Bencheik, secrétaire à la représentation européenne de Tunis, de Kaïs, ingénieur franco-tunisien dilettante, et d’une famille d’« expats » : Gabrielle, Charles Duquesne et leurs enfants.
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